Masque blanc posé sur un clavier d’ordinateur rétro beige, devant un écran cathodique dans un bureau

Vers une société qui célèbre nos différences

L’autisme est devenu mon intérêt spécifique ces dernières semaines. J’en ai même fait un blog.

Je lis donc beaucoup sur le sujet et je me suis inscrit dans des groupes Facebook et Reddit. J’aime observer cette communauté très hétéroclite, en grande majorité bienveillante. Je me reconnais dans ce que je lis. Ça me réconforte de savoir que je ne suis pas seul à avoir des difficultés, je n’en suis pas responsable. Je me sens parfois privilégié d’avoir besoin de moins d’accompagnement, d’être moins exclu ou discriminé pour ce que je suis. Mais ça me met aussi en colère.

Pour ceux qui ne sont pas familiers du terme, un intérêt spécifique est une passion intense et durable que développent souvent les personnes autistes pour un sujet particulier. Ce n’est pas un simple passe-temps : c’est un refuge, un moteur, une façon d’exister.

Un intérêt spécifique, c’est quand tu passes du temps à lire des articles scientifiques sur comment et pourquoi les lucioles produisent de la lumière et que tu ne remarques pas que 3 heures sont passées. Quand tu ressens une joie presque physique à comprendre un système, une théorie, un langage. Quand tu n’as pas envie de t’arrêter, même si tout le monde autour décroche.

Le poids du masque

Les discriminations que vivent les personnes neurodivergentes au quotidien sont réelles. Toute ma vie j’ai masqué ma différence, consciemment ou inconsciemment. Que ce soit pour éviter le rejet, pour correspondre aux attentes de la société. J’observais, j’imitais, je m’ajustais. Je dépensais une énergie folle à essayer d’être « normal ».

Et j’en ai payé le prix : plusieurs périodes d’épuisement professionnel, sentiment d’échec diffus, toute cette énergie et ma bande passante gâchées. J’étais malheureux sans comprendre la raison, je me sentais toujours à côté, inadapté. Aujourd’hui je comprends que je ne suis pas responsable de ce malaise. Le problème vient d’une société qui a des attentes irréalistes envers les personnes neuroatypiques.

Les recherches scientifiques le confirment : le masquage social chez les personnes autistes a un impact négatif sur la santé 1. Les participants aux études rapportent qu’ils sont anxieux et stressés après avoir pratiqué le camouflage. Ils se sentent dépossédés de leur identité. Toutes ces stratégies réclament un effort considérable 2 et l’épuisement est une réponse quasiment unanime dans les études. Les adultes questionnés décrivent la sensation d’être complètement vidés, mentalement, physiquement, et émotionnellement.

Le mythe du neurotypique

Dans une société capitaliste, néo-libérale, il y a peu de place pour la différence. Une personne a de la valeur tant qu’elle est productive et qu’elle consomme. Plus je vieillis et moins je me retrouve dans ce schéma.

Selon moi, il n’existe pas de « neurotypisme parfait ». La notion de « neurotypique » sert surtout à décrire une norme statistique. Mais en réalité, chacun possède ses particularités, ses forces et ses difficultés. Personne n’est véritablement 100% neurotypique : la diversité des profils cognitifs et comportementaux est la règle, pas l’exception. Certains ont simplement besoin de plus d’accompagnement pour s’adapter aux attentes sociales, tandis que d’autres semblent s’y conformer plus facilement. Mais au fond, ne sommes-nous pas tous, d’une certaine façon, en quête de conformité ? Nous vivons à travers le regard des autres, qui eux-mêmes vivent à travers le nôtre, créant ainsi une boucle infinie d’ajustements et de perceptions. Finalement, c’est la richesse de la neurodiversité qui fait la complexité et la beauté de l’expérience humaine.

Cette analyse trouve écho dans les réflexions contemporaines sur la société capitaliste. Le capitalisme contemporain participe à une individualisation poussée 3, créant des désirs d’épanouissement personnel, mais dans le même temps il limite et tronque l’individualité par la marchandisation et la division du travail. Le terme neurotypique lui-même a été créé par la communauté autistique 4 pour dénoncer la pathologisation de l’autisme et montrer qu’il est possible de transformer un comportement humain normal en trouble mental.

Vers une société plus inclusive

Et si, au final, on se permettait de vivre selon nos besoins réels, peu importe ce que les autres pensent, peu importe si ça ne correspond pas au standard ? Ralentir, prendre le temps de dessiner, observer les oiseaux, recommencer sa collection de pièces de monnaie qu’on avait enfant… Travailler quatre jours par semaine. Refuser cette promotion au travail car elle ne nous correspond pas. Changer de carrière à 40 ans parce qu’on est épuisé. Rien de tout ça n’est impossible.

Les recherches récentes sur la semaine de quatre jours 5 montrent que des semaines de travail plus courtes peuvent être l’antidote à la hausse des taux de stress et d’épuisement professionnel. Les employés qui passent à une semaine de travail de quatre jours ressentent moins d’épuisement professionnel, de stress, d’anxiété, de fatigue et de problèmes de sommeil. Pour les personnes autistes, particulièrement sujettes au burnout en raison de l’effort constant du masquage, ces aménagements peuvent être salvateurs.

La fatigue est clairement inhérente à l’autisme 6, et une journée typique qui comporte des relations sociales, des moments à l’extérieur, de la concentration, du bruit, des imprévus, est extrêmement énergivore 7 pour les personnes neurodivergentes. Il est donc important de respecter son propre rythme, d’avoir plusieurs moments de repos, de pauses, et un grand besoin de s’isoler pour se retrouver au calme. Je suis en télétravail depuis plusieurs mois, ça me donne le luxe de moduler mon espace de travail, de prendre des pauses quand nécessaire. Mon employeur est aussi très ouvert à la neurodiversité et permet des aménagements raisonnable pour chacun. J’ai de la chance et tout le monde devrait pouvoir profiter des mêmes avantages.

En conclusion

Mon parcours de découverte de l’autisme m’a révélé une vérité fondamentale: le problème n’est pas en nous, mais dans une société qui accepte mal la différence. Le masquage que nous pratiquons quotidiennement n’est pas un choix libre, mais une stratégie de survie dans un monde hostile à la neurodivergence.

Nous vivons dans un système qui valorise la productivité et la conformité au détriment de l’authenticité et du bien-être. Mais il existe des alternatives. D’autres modèles d’organisation du travail et de la société sont possibles, où la différence neurologique ne serait plus perçue comme un défaut à corriger, mais comme une variante naturelle de la diversité humaine.

L’enjeu n’est pas seulement individuel : il s’agit de repenser collectivement nos normes sociales pour créer un monde où chacun peut exister sans avoir à se travestir. Un monde où ralentir, respecter ses besoins sensoriels, avoir des intérêts passionnés ou préférer la solitude ne seraient plus stigmatisés. Un monde où la neurodiversité serait enfin reconnue comme une richesse plutôt qu’un handicap.

Cette transformation commence par la prise de conscience : nous ne sommes pas cassés, nous sommes simplement différents. Et cette différence mérite d’être célébrée, pas camouflée.


Sources

  1. Le camouflage social chez les personnes autistes – Comprendre l’autisme – Recherches de Bargiela et al. (2016), Cage et al. (2018) et Hull et al. (2017) sur l’impact négatif du camouflage social sur la santé mentale ↩︎
  2. Le prix du camouflage de l’autisme – AFFA – Association Francophone de Femmes Autistes ↩︎
  3. Individualité et contradictions du néo-capitalisme – Analyse des contradictions du capitalisme contemporain ↩︎
  4. Neurotypique — Wikipédia – Définition du neurotypisme et critique du syndrome neurotypique par la communauté autiste ↩︎
  5. Pourquoi une semaine de travail de 4 jours pourrait être meilleure pour votre santé – Recherches sur les bénéfices de la semaine de 4 jours ↩︎
  6. La fatigue dans l’autisme – Aspieconseil – Analyse de la fatigue inhérente à l’autisme ↩︎
  7. La fatigabilité, un syndrome à prendre au sérieux dans le TSA – Études sur l’effort énergétique du quotidien pour les personnes autistes ↩︎
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