Une mise à pied temporaire ne définit pas votre valeur. Cette décision d'affaires de votre employeur peut déclencher un tourbillon d'émotions et d'incertitudes, mais avec les bonnes informations et stratégies, vous pouvez traverser ces 6 mois tout en protégeant vos droits juridiques et votre santé mentale. Voici ce que vous devez absolument savoir pour naviguer cette période difficile avec confiance et résilience.
Ce que signifie légalement une mise à pied temporaire
Selon la Loi sur les normes du travail du Québec, une mise à pied temporaire est une suspension de votre contrat de travail de moins de 6 mois, durant laquelle votre lien d'emploi demeure intact. Votre employeur peut vous rappeler à tout moment pendant cette période, et vous conservez votre ancienneté. Le seuil des 6 mois représente un point de bascule juridique crucial qui transforme vos droits et les obligations de votre employeur.
Pendant les 6 premiers mois, votre employeur n'est pas tenu de vous verser un préavis de cessation d'emploi ni une indemnité. Cependant, après 6 mois sans rappel, votre employeur doit obligatoirement vous verser l'indemnité compensatrice équivalente au préavis auquel vous avez droit, calculée selon vos années de service : 1 semaine de salaire pour moins d'un an de service, 2 semaines pour 1 à 5 ans, 4 semaines pour 5 à 10 ans, et 8 semaines pour 10 ans et plus.
Ce qui rend cette situation unique : tout avis de cessation d'emploi donné pendant la période de mise à pied est absolument nul selon l'article 82 de la LNT. Votre employeur ne peut pas légalement vous congédier pendant que vous êtes en mise à pied temporaire.
La règle d'or : ne démissionnez jamais pendant une mise à pied
C'est l'information la plus critique à retenir : démissionner pendant une mise à pied temporaire vous fait perdre pratiquement tous vos droits. Voici pourquoi cette décision serait désastreuse pour vous.
Si vous démissionnez, vous perdez automatiquement votre droit à l'indemnité de cessation d'emploi qui devient exigible après 6 mois, votre ancienneté accumulée, votre droit d'être rappelé au travail, votre droit de déposer une plainte pour congédiement injuste si vous avez 2 ans ou plus de service, et possiblement votre admissibilité aux prestations d'assurance-emploi. Vous abandonnez également toute compensation que l'employeur vous devrait après 6 mois et tout recours légal contre votre employeur.
En revanche, si vous restez officiellement en mise à pied temporaire, vous préservez tous ces droits. Après 6 mois, votre employeur doit vous verser l'indemnité même si vous avez trouvé un autre emploi entre-temps. Votre ancienneté continue si vous êtes rappelé avant 6 mois, et vous conservez tous vos recours légaux. Réclamer l'indemnité qui devient exigible après 6 mois n'équivaut pas à une démission — l'employeur doit vous la payer même s'il n'y a pas de rupture formelle du lien d'emploi.
Si votre employeur vous fait pression pour démissionner ou vous présente des documents à signer, ne signez rien sans consulter un conseiller juridique ou la CNESST.
Que faire si vous trouvez un autre emploi pendant votre mise à pied
Cette situation soulève des questions légales importantes et souvent mal comprises. Vous n'avez aucune obligation légale d'aviser votre ancien employeur que vous avez trouvé un autre emploi pendant votre mise à pied temporaire. La Loi sur les normes du travail ne contient aucune disposition vous obligeant à notifier l'employeur.
Le moment critique survient uniquement si votre employeur vous rappelle au travail avant la fin des 6 mois. À ce moment, vous devez faire un choix : accepter le rappel ou le refuser. Si vous refusez de retourner au travail après un rappel, cela est considéré juridiquement comme une démission, et vous perdez tous vos droits et l'indemnité. Si vous acceptez le rappel, le lien d'emploi continue normalement.
Voici la protection juridique essentielle : votre employeur doit vous verser l'indemnité compensatrice à la fin des 6 mois même si vous avez trouvé un autre emploi, à condition que vous n'ayez pas refusé un rappel. Selon les interprétations juridiques d'Au bas de l'échelle, cette obligation de payer l'indemnité demeure intacte tant que vous n'avez pas refusé de vous présenter au travail suite à un rappel.
En pratique, vous pouvez travailler ailleurs pendant votre mise à pied sans formellement démissionner de votre premier employeur, mais vous devez être prêt à revenir si rappelé avant 6 mois. Si vous ne voulez absolument pas retourner, ne refusez pas le rappel directement — attendez plutôt la fin des 6 mois pour réclamer votre indemnité. Exception importante : si les conditions de retour seraient inacceptables (climat d'hostilité, harcèlement, conditions de travail radicalement différentes), vous pourriez avoir droit à l'indemnité même en refusant le rappel.
Ce qui se passe exactement à la fin des 6 mois
Le cap des 6 mois déclenche automatiquement des obligations légales strictes pour votre employeur, et ce, que vous travailliez ailleurs ou non. Cette indemnité doit être versée au moment de l'expiration du délai de 6 mois pour une mise à pied d'une durée indéterminée ou prévue pour moins de 6 mois qui finit par excéder cette période.
Après 6 mois sans rappel, il y a rupture du lien d'emploi et l'employeur doit respecter toutes les obligations relatives à la cessation d'emploi. Cela inclut le paiement de l'indemnité compensatrice basée sur votre ancienneté, le versement de toutes les sommes dues (salaires impayés, heures supplémentaires, indemnité de vacances de 4% ou 6% selon vos années de service), et le respect de tous vos droits prévus par la loi.
Point crucial souvent méconnu : votre employeur doit vous verser cette indemnité même si vous avez trouvé un autre emploi après la mise à pied, pourvu que vous n'ayez pas refusé un rappel. Le fait de réclamer l'indemnité devenue exigible après 6 mois ne constitue pas une démission de votre part.
Si votre employeur ne respecte pas ces obligations, vous pouvez déposer une plainte auprès de la CNESST sans frais. La Commission enquêtera et peut ordonner le paiement. Agissez rapidement, car certaines plaintes ont des délais de 45 jours.
Vos droits aux prestations d'assurance-emploi
Vous êtes admissible aux prestations régulières d'assurance-emploi pendant votre mise à pied temporaire si vous avez accumulé 700 heures assurables au cours des 52 dernières semaines (pour la plupart des régions du Québec), avez été sans travail et sans rémunération pendant au moins 7 jours consécutifs, êtes prêt, disposé et capable de travailler chaque jour, et cherchez activement un emploi.
Point important : même si vous espérez être rappelé, vous devez continuer à chercher activement du travail ailleurs. Vous ne pouvez pas restreindre votre disponibilité uniquement à votre ancien employeur pendant la période de mise à pied.
Le montant de vos prestations représente 55% de votre salaire hebdomadaire moyen assurable, jusqu'à un maximum de 695$ par semaine en 2025. La durée varie de 14 à 45 semaines selon le taux de chômage régional et vos heures assurables. Une mesure temporaire en vigueur jusqu'au 11 avril 2026 offre jusqu'à 20 semaines supplémentaires aux prestataires admissibles.
Faites votre demande immédiatement dès que vous cessez de travailler, idéalement dans les 4 semaines. Attendre peut entraîner une perte de prestations. Vous pouvez travailler à temps partiel tout en recevant des prestations — vous conservez 50 cents de prestations d'AE pour chaque dollar gagné, jusqu'à environ 90% de vos gains hebdomadaires assurables antérieurs. Vous devez déclarer toutes les heures travaillées et tous les gains dans vos rapports bimensuels.
Comprendre la différence entre mise à pied légitime et congédiement déguisé
Un congédiement déguisé (ou constructive dismissal) survient lorsqu'un employeur met fin indirectement à votre emploi en modifiant unilatéralement et substantiellement les conditions essentielles de votre contrat de travail, vous forçant à partir. Cette notion est régie par l'article 124 de la LNT et le Code civil du Québec.
Signes d'alarme qu'une mise à pied temporaire pourrait être un congédiement déguisé : votre employeur embauche quelqu'un d'autre pour occuper votre poste pendant la « mise à pied temporaire », seuls certains employés sont mis à pied de façon sélective ou discriminatoire, votre poste est aboli ou vos tâches sont redistribuées de façon permanente, l'employeur invoque des difficultés économiques mais sa situation financière ne le justifie pas, la durée est indéfinie ou vague dès le départ, l'employeur vous demande de signer des documents renonçant à vos droits, ou il n'y a aucune intention réelle de vous rappeler.
Si vous soupçonnez que votre mise à pied est en réalité un congédiement déguisé, documentez tout : communications écrites, conversations verbales (dates et détails), qui effectue votre travail après la mise à pied, et la situation financière de l'employeur si pertinente. Ne signez rien et conservez tous vos documents d'emploi.
Vos recours légaux si vos droits sont violés
Si votre employeur ne respecte pas ses obligations, vous disposez de plusieurs recours selon votre situation. Pour le non-paiement de l'indemnité après 6 mois ou d'autres violations de la LNT, déposez une plainte gratuite auprès de la CNESST qui enquêtera et peut ordonner le paiement.
Si vous avez 2 ans ou plus de service continu, vous pouvez déposer une plainte pour congédiement injuste selon l'article 124 de la LNT dans les 45 jours suivant le congédiement ou le dernier acte fautif. Ce recours vous protège contre un congédiement sans cause juste et suffisante et peut mener à une réintégration dans votre emploi, une indemnité pour salaires perdus, ou une indemnité pour perte d'emploi. La CNESST vous fournit gratuitement un avocat si votre plainte se rend en audience.
Pour tous les employés, dès le premier jour de service, une plainte pour pratique interdite selon les articles 122-123 de la LNT est disponible si la mise à pied ou le congédiement est lié à l'exercice de vos droits, à la grossesse, aux obligations familiales, ou à d'autres motifs protégés. Le délai est également de 45 jours.
Vous pouvez aussi intenter une action civile devant les tribunaux selon l'article 2091 du Code civil du Québec pour réclamer un préavis raisonnable qui peut être beaucoup plus généreux que les minimums de la LNT (parfois jusqu'à 24 mois). Ce recours n'exige aucun service minimum et le délai de prescription est de 3 ans, mais vous devez engager votre propre avocat et ne pouvez obtenir une réintégration.
La dimension psychologique : vous n'êtes pas votre emploi
Une mise à pied temporaire n'est pas un jugement sur votre valeur ou vos compétences. La recherche démontre que les décisions de mise à pied ont rarement à voir avec la performance individuelle des employés. Ces décisions sont presque toujours basées sur des considérations financières, stratégiques ou structurelles : réduction de départements entiers par pourcentage, élimination de postes pour raisons budgétaires, restructurations suite à des fusions, ou critères comme l'ancienneté (dernier arrivé, premier sorti) ou les niveaux salariaux.
La réalité troublante : des employés hautement performants et des experts reconnus sont souvent mis à pied alors que des employés moins performants sont conservés. Pourquoi? Parce que les décisions sont prises en fonction du poste, pas de la personne. Ceux qui prennent les décisions ne connaissent pas toujours les contributions individuelles, et les considérations stratégiques l'emportent sur la performance.
Votre mise à pied reflète une décision d'affaires qui priorise les chiffres de croissance avant le bien-être des employés. Ce n'est pas un échec personnel. Les licenciements impliquent des forces économiques qui échappent au contrôle de l'employé. Ne laissez pas cette situation définir votre identité ou votre estime de soi.
Préserver votre santé mentale pendant cette période
Les impacts psychologiques d'une mise à pied sont réels et documentés : symptômes dépressifs, anxiété et stress, questionnements identitaires, baisse de confiance en soi, sentiments de honte ou d'embarras, et isolement social. Ces réactions sont normales face à un événement de vie majeur. Accordez-vous la permission de ressentir vos émotions sans vous précipiter.
Stratégies de protection immédiate : pratiquez l'autocompassion en vous parlant avec bienveillance, créez une routine quotidienne avec des heures de lever et de coucher régulières, maintenez une activité physique quotidienne même légère, établissez un réseau de soutien en parlant à des amis ou à la famille, et prenez du temps pour des activités qui vous apportent de la joie.
Structure recommandée pour vos journées : consacrez 4 à 5 heures maximum par jour à la recherche d'emploi et au développement de compétences, avec des pauses toutes les 90 minutes. Préservez vos soirées et fins de semaine pour le repos et les loisirs. Aucune activité liée au travail après 17h. Maintenez un équilibre pour éviter l'épuisement.
Séparez votre valeur personnelle de votre statut professionnel en reconnaissant que vous possédez de multiples identités (professionnel, parent, ami, artiste, bénévole). Vos qualités précieuses — intelligence, persévérance, créativité, empathie — existent indépendamment de votre titre d'emploi. Redécouvrez des passe-temps ou intérêts que vous aviez mis de côté. Demandez-vous : « Qu'est-ce qui me rend vraiment heureux? Qu'est-ce qui m'excitait quand j'étais enfant? »
Ressources essentielles
Ressources juridiques et financières :
- Assurance-emploi (Service Canada) : 1-800-206-7218
- CNESST (normes du travail) : 1-844-838-0808 — cnesst.gouv.qc.ca
- Éducaloi (information juridique) : educaloi.qc.ca
- Au bas de l'échelle (défense des droits) : info sur les mises à pied disponible en ligne
Portails gouvernementaux :
- Santé mentale Québec : quebec.ca/sante/sante-mentale
- Information sur l'assurance-emploi : canada.ca/assurance-emploi
- CNESST : déposer une plainte en ligne ou par téléphone
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