J'ai passé 40 ans à essayer d'être « normal ». Voilà ce que ça m'a coûté.
Chaque jour, au travail, je redoute les appels Teams imprévus et les interactions en dehors d'un cadre professionnel. Quand un collègue m'appelle pour me parler de son week-end, je souris, j'acquiesce et je pose les questions que l'on est censé poser. En présentiel, je passe la journée à m'ajuster, à imiter et à mimer la normalité pour me fondre dans le décor. C'est un effort que je ne calcule même plus. C'est devenu aussi naturel que de respirer. Pourtant, en rentrant chez moi, je suis vidé, tant mentalement que physiquement.
J'ai passé toute ma vie à payer le prix de cet effort. J'ai connu plusieurs périodes d'épuisement professionnel. Un sentiment d'échec diffus. J'ai récemment découvert que j'étais autiste, et le terme qui donne un sens à toute cette fatigue s'appelle le « masquage social ».
Le poids du masque
Le masquage, c’est cette énergie folle dépensée pour dissimuler ses traits autistiques. C'est l'art de jouer la comédie. D'observer les autres pour reproduire leurs expressions, de se forcer à soutenir le regard, de calculer chaque mot pour éviter de paraître étrange. C'est une stratégie de survie, pas un choix.
Pendant des années, je me sentais constamment à côté, inadapté. Je me reprochais de ne pas tenir le rythme, de ne pas être assez sociable. Aujourd'hui, je comprends que je ne suis pas responsable de ce malaise. Le problème vient d'une société qui a des attentes irréalistes envers les personnes neuroatypiques.
Les recherches scientifiques le confirment : le masquage a un impact négatif sur la santé. Les études montrent que les personnes autistes qui camouflent leurs traits rapportent plus d'anxiété, de stress et de dépression. On appelle ce phénomène le burnout autistique, un épuisement mental, physique et émotionnel profond causé par l'effort constant d'être quelqu'un que l'on n'est pas.
Mon intérêt spécifique : un refuge et une boussole
Dans cette prise de conscience, une passion s'est imposée à moi : l'autisme. Ce n’est pas un simple passe-temps, mais un intérêt spécifique. C'est un refuge, un moteur, une façon d’exister. C’est la passion qui te pousse à lire des articles scientifiques sur comment les lucioles produisent de la lumière sans voir les heures défiler. Ou qui te donne une joie quasi-physique à comprendre un nouveau système, une nouvelle théorie.
Cet intérêt m'a mené vers des groupes en ligne, où j'ai trouvé une communauté hétéroclite, bienveillante (mais pas toujours). J'y ai trouvé du réconfort à lire les témoignages de personnes qui, comme moi, se sentent parfois "à côté". De savoir que je n'étais pas le seul à vivre ces difficultés. Ça m'a aussi mis en colère de réaliser à quel point la société est encore hostile à la différence.
J'ai donc créé ce blog, non seulement pour partager mes découvertes, mais aussi comme un prolongement de cette passion. C'est ma façon de transformer ma bande passante gâchée en un outil pour moi, et peut-être pour d'autres.
Le mythe de la "personne normale"
Le terme neurotypique n'a pas été inventé par des médecins, mais par la communauté autistique elle-même, pour dénoncer la pathologisation de l'autisme. Ce mot révèle une vérité dérangeante : il n'existe pas de "neurotypisme parfait". Chacun possède ses particularités, ses forces et ses difficultés.
La notion de neurotypisme ne sert qu'à décrire une norme statistique, une illusion de conformité. Dans une société capitaliste qui valorise la productivité et la consommation, nous sommes tous poussés à nous ajuster pour rentrer dans le moule. Cette pression crée un cycle infini d’ajustements et de perceptions.
L'enjeu n'est pas de "corriger" les neurodivergents, mais de déconstruire cette norme. Finalement, la diversité des profils cognitifs est la règle, pas l'exception. N'est-ce pas la richesse de cette neurodiversité qui fait la complexité de l'expérience humaine ?
Vers une société qui respire
Et si on se permettait enfin de vivre selon nos besoins réels, sans se soucier de la norme ? De ralentir, de prendre le temps d'observer les oiseaux, de reprendre une collection d'enfant. De refuser une promotion parce qu'elle ne nous correspond pas.
Heureusement, le changement est en marche. De plus en plus d'entreprises reconnaissent que le confort et le bien-être de leurs employés ne sont pas un luxe, mais une condition de la productivité. Les recherches sur la semaine de quatre jours montrent que des semaines de travail plus courtes réduisent le stress et l'épuisement professionnel. C'est un pas immense pour les personnes autistes, particulièrement sujettes au burnout.
Mais au-delà de la semaine de quatre jours, il existe de nombreux autres aménagements raisonnables qui peuvent faire une différence concrète : la flexibilité du télétravail, le droit d'aménager son espace pour réduire les stimuli sensoriels (bruit, éclairage), ou la possibilité d'utiliser des outils de communication écrits. Ces changements ne bénéficient pas qu'aux neurodivergents ; ils bénéficient à tous.
Un monde où l'on n'a plus à se déguiser
Mon parcours de découverte de l'autisme m'a révélé une vérité fondamentale : le problème n'est pas en nous, mais dans un monde qui n'est pas conçu pour nous. Le masquage n'est pas une faiblesse personnelle, mais une stratégie de survie dans un monde hostile à la différence.
Nous vivons dans un système qui valorise la productivité et la conformité au détriment de l'authenticité et du bien-être. Mais des alternatives existent. Des modèles d'organisation et des entreprises où la différence neurologique n'est plus perçue comme un défaut, mais comme une variante naturelle de la diversité humaine.
La transformation commence par la prise de conscience. Nous ne sommes pas cassés, nous sommes simplement différents. Et cette différence mérite d'être célébrée, pas camouflée. C'est l'enjeu, non seulement pour les autistes, mais pour l'humanité tout entière.
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